Alchimie chrétienne

RABAT Gerard

 

 

rabat.gerard@free.fr

    Résumé : L'Occident médiéval a connu l'alchimie par les traductions réalisées en Sicile et en Espagne des textes des alchimistes musulmans dont le plus important fut Jâbir ibn Hayyân al-sûfi, le Geber des scolastiques.

Paradoxalement, ce fut le plus souvent les augustino-franciscains plus que les aristotéliciens averroïstes et thomistes qui reprirent le flambeau de cette pensée encore animiste qui projetait dans la "materia prima" invisible tout notre psychisme inconscient. Les Roger Bacon, Raymond Lulle, Jean de Roquetallade et bien d'autres se situent sur ce moment historique, sur cette christianisation pourrait-on dire qui aboutira à une alchimie chrétienne totalement manifeste chez les alchimistes paracelsiens tels Henrich Conrad Khunrath ou Pierre Jean Fabre.

Contrairement à ce qu'en a dit CG Jung pour qui l'alchimie, d'origine gnostique, serait l'exposé d'un processus de réunion des contraires de bien et de mal qu'aurait soi-disant séparé le christianisme avec son dieu unilatéral de bien, le Grand Oeuvre alchimique est ce processus de réunion des contraires qui nous libère du mal identifié au morcellement, à la division (diabolos) et à la mort; tout autant dans la spiritualité musulmane que dans la spiritualité chrétienne.

Des hétérodoxes musulmans shiîtes et ultra-shiîtes comme l'était Jâbir ibn Hayyân travaillés par la problématique de la résurrection et du "Corpus glorificationis" - on sait que la civilisation fatimide au Caire fut marquée, à l'instar du jade en Chine, par le cristal symbole de ce corps de lumière - et par celle de l'Imam intérieur, homologue d'un christocentrisme selon Henry Corbin, ce passage de l'Islam hétérodoxe au Christianisme se fit sans difficultés dans la mesure où le motif du "mourir et renaître" ainsi que la spiritualisation de la matière recoupaient les propres motifs archétypiques de la spiritualité chrétienne. La plupart des alchimistes en Occident furent des médecins et l'élixir de guérison et de prolongation de la vie leur importait plus que la production de l'or. Celui-ci était au règne minéral ce que le lion était au règne animal et la vigne, tout autant que le blé, au règne végétal. Pour la foi chrétienne, le pain et le vin sont transfigurés en corps et en sang du Christ; d'où la quête de la quintessence du vin chez Jean de Roquetallade. Tous les phénomènes naturels étaient le lieu d'un processus de rédemption et de perfectionnement devant nous libérer du mal inhérant au monde sublunaire à cause du péché originel. De là l'identification de la Pierre philosophale au Christ qui apparut dès le XIVe siècle dans le texte apocryphe de Raymond Lulle connu sous le nom du "Codicille". Mais c'est chez le médecin Pierre Jean Fabre que le parallèle entre l'alchimie et la dogmatique chrétienne de la rédemption et de la libération du mal apparait le plus ouvertement et on sait qu'il dédia son texte l'Alchymista christianus au pape de l'époque. Ainsi, bien que nous devons au génie de CG Jung d'avoir compris que le Grand Oeuvre alchimique était une formulation encore mythique d'un processus dialectique inconscient, celui-ci, néanmoins et contre le psychanalyste suisse cette fois, n'est en rien un essai impossible de réconciliation du bien et du mal mais une réconciliation des potentialités psychiques masculines et féminines antagonistes aboutissant à la libération du mal qu'est l'ensemble des aspects de chaque potentialité psychique lorsqu'elle nie son antagoniste.

 

Pour télécharger ce texte cliquez sur jonas.pdf

Site "Cercle Raymond Lulle"