La parole et la fonction symbolique au fondement du processus d'hominisation.

RABAT Gerard

 

 

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    Résumé : On trouve dans l'oeuvre de Raymond Lulle, une conception très originale de la parole qu'il dénommait l'affatus. Pour lui, cette parole était un sixième sens propre à l'homme et c'était grâce à lui qu'il avait , chose capitale, une relation avec Dieu. A partir de cette intuition et au regard de l'approche lacanienne pour qui il n'y a d'inconscient que chez un sujet qui parle, l'auteur essaie de montrer que la passation (au regard de la théorie darwinienne de l'évolution) entre le groupe de primates supérieurs et les humains les plus primitifs, ceux de l'urkultur des chasseurs-cueilleurs ne peut se comprendre que par l'accession par l'humain à la parole et à la fonction symbolique. Or celle-ci implique le langage-signifiant, l'entrée dans le narcissisme et la mise en acte de l'hallucination comme "monde du rêve", lieu des revenants et des ancêtres mythiques, mi-hommes mi-animaux , omniprésents dans l'horizon primitif. Contre toute l'idéologie régnante des scientistes généticiens, de la science neuro-cérébrale et des éthologues et autres sociobiologistes, qui ne cesse d'écrire que les humains ne sont que des primates un peu plus évolués que les chimpanzés, le lien entre la parole et les manifestions de l'inconscient que sont les visions, les transes, les possessions et les paroles pythiques somnambuliques, formes classiques de la religion associées aux mythes et aux rites, montre que "seul le religieux peut livrer le secret de l'homme" comme l'écrit René Girard. Dans le conflit entre évolutionnistes darwiniens et créationistes fondamentalistes, il n'est pas question de nier la théorie darwinienne de l'évolution mais de voir qu'il y a quand même une rupture et en ce sens un certain créationnisme dans le processus d'hominisation. Comme l'écrivait Jacques Lacan, "il n'y a d'inconscient que chez un sujet qui parle " et "rien dans le monde animal ne représente le sujet". Or, en poussant jusqu'au bout la grille de compréhension linguistique lacanienne de l'oeuvre de S. Freud, il s'averre que la métapsychologie freudienne dévoile un humain dont la psychologie n'a plus aucun rapport avec celle de l'animal , fut-il un primate supérieur puisque s'y structurent les pulsions partielles invocantes (écoute-parle) et scopiques (voir et exhibition), les pulsions partielles fétichiste-narcissiste ainsi que les pulsions partielles nécrophile-zoophile. Si ces pulsions partielles typiquement humaines apparaissaient à S. Freud "aberrantes" c'était parce qu'il posait comme un "a priori "le fait que la psychologie humaine devait reposer sur une instinctualité animale (axiome erroné du scientisme). On sait qu'un positiviste comme Gabriel Tarde théorisait que l'humain était un être social greffé sur un être animal. Or, il n'en est rien et J. Lacan a bien montré que la pulsion (Trieb) en psychanalyse n'était pas identifiable à l'instinct des éthologues (Instinkt). Tout comme Christophe Colomb qui croyait avoir atteint Cathay (la Chine) mais avait en réalité découvert un nouveau territoire, c'est tout un nouveau domaine, spécifiquement humain et en rupture avec l'animalité que S. Freud a découvert mais que seul J. Lacan, parmi les psychanalystes freudiens, a réussi à reformuler en faisant le lien entre l'inconscient et la parole et la fonction symbolique (la fonction phallique). Un Claude Lévi-Strauss a pu écrire que "la science avait rendu le monde muet" et c'est parce que l'humain moderne a baîllonné la parole de l'Autre, a dépotentialisé l'âme inconsciente et s'est substitué à l'Autre (Dieu) qu'il soutient cette ridicule proximité entre l'humain et l'animal. Or , ce n'est pas honnête car la jointure ŕ effectuer dans le processus d'hominisation se situe entre un groupe de primates supérieurs et un groupe humain des plus primitifs, comme par exemple les cueilleurs-chasseurs et leur Urkultur sachant que la forme religieuse la plus archaïque reste le chamanisme avec l'importance qu'y jouent les transes extatiques dans lesquelles se manifestent les revenants et les ancêtres mythiques qui peuplent le "monde du rêve". De ce fait, on peut voir que seule la nouveauté de la fonction symbolique, c'est à dire la parole et le langage-signifiant en lien avec l'hallucination et le transfert sur l'Autre permet de comprendre ce passage du primate supérieur à l'humain primitif foncièrement religieux.

 

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Site "Cercle Raymond Lulle"